texte : Florence Marquise - juillet 2006

 Une femme vampire traîne depuis tant d'années dans le grand cimetière parisien du Père-Lachaise. Depuis longtemps, elle n'est plus mortelle et doit chasser le soir et la nuit afin de subvenir à ses besoins quotidiens de sang. Elle n'a pas le choix, tel est son destin car elle est damnée pour l'éternité. Plus aucunes sorties diurnes sinon la brûlure du soleil lui serait fatale... sans parler de la peur provoquée chez les humains en son encontre. Les vampires ont toujours rebuté. Après tout, ce ne sont que des non-morts.

Elle erre dans le cimetière depuis des siècles... Elle a pourtant traversé tout Paris mais préfère demeurer dans ce cimetière, havre de paix et de silence. La journée, elle dort dans son cercueil capitonné car son âme charnelle repose ici. Elle n'a plus de famille, sans époux ni compagnon, ni même des amis pour venir se recueillir en sa mémoire. Elle a toujours été seule, ayant quelques amants au temps de sa vie humaine mais elle est partie seule... A l'époque où la France était encore un Royaume, elle était pauvre et servait de domestique à un aristocrate, un bourgeois félin qui ne pensait qu'à la mettre dans son lit au lieu de s'occuper de femme et enfants. Sur un coup de sang, agacé d'être rejeté, l'homme la fit jeter en prison où elle mourut de privations et de désespoir d'être seule.

C'était une créature d'une grande beauté qu'elle avait conservé, même aujourd'hui alors que la vie n'était plus en elle, même sans un coeur qui ne battait plus. Elle portait la même robe noire longue qui s'usait avec le temps. Depuis longtemps, elle errait dans ce beau cimetière fort esthétique, contemplant les allées, les centaines de sépultures fleuries ou vides, les mausolées, ainsi que les statues représentant des femmes, des anges ou des amoureux. Elle adorait ce cimetière respirant la mélancolie et le romantisme mais, à force, elle était blasée, connaissant chaque tombe où reposaient des êtres illustres ou anonymes. Elle se sentait bien esseulée car aucun vampire ne se trouvait ici. D'autres semblables existaient surement dans le pays et ailleurs mais elle n'en connaissait aucun... Mais en existaient-ils ?

 Un soir de pleine lune, en automne, la vampire sortit de son caveau et arpenta le vaste cimetière, guettant la moindre présence humaine. Soudain, elle aperçut une haute silhouette dans la pénombre, un homme tout de noir et blanc vêtu. Elle entrevit ses longues canines pointues et déduisit que ce n'était pas un mortel ; de plus, son teint était trop pâle et son regard perçant. L'apercevant, surprit, il s'enfuya dans le cimetière comme si elle l'avait effrayé. Il l'avait sans doute prit pour une humaine... Enfin, un semblable ! Elle devait le retrouver pour faire sa connaissance. Cela ne faisait pas longtemps qu'il se trouvait ici sinon elle l'aurait déjà vu. Peut-être était-il immortel depuis peu ?

Elle cavala dans le cimetière désert, regardant tantôt à gauche, tantôt à droite, dotée d'une ouie et d'un odorat ultra-développés. Entendant un cri humain, elle se hâta vers le mystérieux immortel qui étanchait sa soif. Il reposa sa victime (un malheureux vagabond) à terre, la gorge ensanglantée. Le vampire se redressa et fixa la créature immobile non loin de lui. Il se pensait unique... et voilà qu'il découvrait une semblable. Lui aussi errait seul depuis longtemps mais dans un autre cimetière ; il était seulement au Père-Lachaise depuis deux nuits...

Elle le détailla : un bel immortel brun aux cheveux mi-longs et épais, au regard brun et à la peau claire. Assez grand et mince, il était vêtu d'une redingote assortie à son pantalon noir, une chemise blanche à jabot. Il venait de l'époque de la Renaissance, ayant succombé à la lame d'un mari furieux parce que son épouse l'avait trompé avec LUI. Cette femme n'était pas heureuse et cherchait du réconfort auprès de quelques galants, en particulier ce dandy romantique qui lui avait beaucoup apporté...

Le vampire observa la créature face à lui et toujours immobile. Il remarqua sa robe en dentelle noire qui devait être magnifique autrefois, et maintenant usée et "découpée" aux manches ainsi qu'à l'ourlet. Elle avait de longs cheveux noirs qui lui effleuraient la taille, un visage finement dessiné et pourvu d'un regard vert cernés de grands cils noirs, d'une bouche sensuelle et d'un petit nez. Il s'approcha et lui demanda depuis combien de temps elle se trouvait dans ce cimetière. Ils parlèrent de différentes choses puis évoquèrent leur ancienne existence, regrettant de ne plus être des humains. Désormais, ils étaient liés à l'éternité et aux ténèbres. Ils étaient privés de tant de choses, désormais : ne plus cotoyer d'humains (sinon les tuer), ne plus se montrer de jour, ne plus pouvoir savourer de la nourriture ni boisson, encore moins s'adonner aux plaisirs charnels... Seulement sortir au crépuscule et se repaître de sang humain pour survivre. C'était cela qu'avaient en commun les deux vampires.

Les nuits suivantes, ils se revoyaient dans le cimetière et apprenaient à s'appécier davantage. Pourquoi se détesteraient-ils ? Ils étaient les seuls immortels qui restaient, autant s'entendre ! Leur race s'éteignait peu à peu : à cause de la peur et de la haine suscitées chez la plupart des humains qui voulaient toujours les éliminer. Au fond, les vampires étaient des créatures vulnérables et solitaires, romantiques malgré tout... Mais comment faire croîre cela aux humains ! 

Le couple éprouvait la même attirance. Ce n'était pas parce qu'ils n'étaient plus comme avant qu'ils ne devaient pas ressentir amour et tendresse. A deux, ils étaient plus forts, se soutenant mutuellement. Ils erraient donc ensemble dès la nuit venue, main dans la main...

Jusqu'au soir où le vampire disparut, voulant sans doute retrouver son indépendance. Elle le chercha partout dans le cimetière du Père-Lachaise mais il demeurait introuvable. A nouveau, elle fut confrontée à la solitude, triste, car habituée à la présence de ce semblable beau et sensuel. Voilà si longtemps qu'elle n'avait pas aimé... elle avait presque omit la sensation et le bien-être que cela procurait.

Elle s'asseya sur une tombe et regarda la statue d'un ange, l'air désemparé et rêveur. A nouveau, elle était seule. La pluie se mit soudain à tomber mais qu'importe, elle n'apaiserait pas sa peine et son ennui. La femme vampire retourna à son caveau. Dans le cimetière, le calme régnait. On entendait seulement la petite musique de la pluie, berçant l'immortelle du fond de son cercueil. Puis, la pluie cessa pour céder la place au chant des grillons. La lune fit son apparition dans le ciel nuageux.

Un être entra dans le vaste cimetière, cherchant la sépulture de celle qu'il avait cotoyé durant plusieurs nuits. C'était le vampire à l'allure de dandy. Il était revenu deux nuits après car il ne pouvait se passer de cette compagne qu'il aimait tant (c'était réciproque). Il la trouva endormie dans son cercueil. Il l'ouvrit et elle s'éveilla, surprise. Reconnaissant celui qu'elle attendait avec peu d'espoir de le revoir, elle sourit et se redressa aussitôt. Il la serra dans ses bras et l'embrassa tendrement.

A nouveau, ils errèrent ensemble dans le cimetière du Père-Lachaise. Ils regrettaient de ne pas s'être rencontrés du temps où ils furent des mortels. Le destin les avait fait se croiser sur ce chemin d'errance et d'appel du sang.

Il n'était pas trop tard pour rattraper toutes ces années de solitude, même dans ce monde de ténèbres interminables.

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Info : 

         Cette nouvelle a été publiée en mai 2011 dans le livre "Enquête sur les vampires, fantômes, démons et loup-garous" de Marc-Louis Questin, auteur, écrivain et journaliste français.