• L'ange sombre du bal (ma nouvelle)

     

    texte : Florence Marquise - 07 mai 2006 

     

     Un fiacre arpente la route menant au château de Vaux-le-Penil (Seine-et-Marne) où ce soir a lieu un bal conviant bon nombre de personnes. Le couple de gérants organisent souvent des bals ou des soirées gothiques chaque week-end (depuis 2006, cela n'existe plus). Toute la ville se rend en fiacre ou en voiture.

    Dans le fiacre, Ombelline regarde défiler le paysage campagnard d'un air soucieux. A ses côtés, se trouve un couple d'amis, Stéphane et sa jeune épouse Annaëlle qui ont hâte d'arriver au bal. Ils ont insisté pour que Ombelline les accompagne afin qu'elle se change les idées, qu'elle se distrait un peu. A quoi bon ? Elle est souvent triste, mélancolique, surtout en automne et en hiver, et ce, depuis que son bien-aimé n'est plus de ce monde. Erwan, son cher et tendre compagnon, est partit un hiver, emporté par une méningite foudroyante. Il est mort dans ses bras tandis qu'ils se baladaient dans la campagne enneigée...Comme elle, Erwan avait une trentaine d'années. Il était jeune et en bonne santé. C'était un artiste, un poète talentueux qui écrivait des textes magnifiques. Il devait bientôt avoir son second recueil de poèmes publié. Hélas, le destin avait décidé qu'Erwan ne terminerait jamais cette oeuvre...

     

    Ce matin, avant de rejoindre le couple d'amis à leur appartement, Ombelline se rendit au cimetière sur la tombe de son défunt compagnon et déposa des roses blanches, le coeur lourd, les larmes aux yeux. Il lui manquait tant ! C'était si dur ! La mort les avait séparé après dix années de vie commune et heureuse, c'était injuste. Ils projetaient de se marier...Cela faisait déjà un an qu'Erwan s'en était allé et la jeune femme remontait la pente tant bien que mal. Il le fallait car son aimé n'aurait pas aimé qu'elle déprime. Alors elle s'était plongée corps et âme dans le travail, passionnée de musique (Erwan l'était lui aussi). Elle était violoniste, membre dans un ensemble classique talentueux. Partout en France, leurs concerts avaient du succès et le public les adoraient, surtout Ombelline la violoniste soliste.

    Désormais, chaque fois qu'elle jouait, c'était pour LUI, son amour perdu que la mort lui avait enlevé cruellement. Elle ne reverrait jamais Erwan, il lui fallait continuer à vivre sans lui, elle n'avait pas le choix...

     

    Le fiacre arrive au château à la nuit tombée. Une lune blanche et pleine éclaire le ciel peu nuageux. Le vent souffle et, en cette mi-septembre, il était doux car l'été s'attardait encore un peu. Le fiacre s'arrête. Stéphane, le frère cadet d'Erwan, descend le premier. Il aide ensuite son épouse à descendre puis Ombelline. Tout trois marchent sur l'allée menant à l'entrée du parc menant au château. A leur passage, beaucoup de regards se posent sur Ombelline dont la beauté et le charisme ne laisse personne indifférent. Stéphane et Annaëlle sont moins remarqués, pourtant charmants et élégants. C'est leur amie qui suscite l'intérêt, en particulier des hommes et des jeunes gens. Il y a une cinquantaine de convives, en majorité des gothiques, et aussi des victoriens et des passionnés de musiques metal ou celtique. Certains dansent dans le grand salon, tandis que d'autres bavardent devant un verre ou se promènent dans le parc.

    Comme ses amis, Ombelline prend place sur une banquette en velours bleue et admire la décoration du salon, puis elle observe les gens autour d'elle. Stéphane lui apporte un verre et en offre un aussi à Annaëlle. Ombelline est une des plus belles femmes de la soirée, vêtue d'une robe longue en velours rouge et bordée de dentelle noire.Des gants en dentelle noire font ressortir sa peau blanche. Elle porte quelques bijoux, une rose noire orne ses longs cheveux bruns comme l'ébène. Son visage finement dessiné est doté de yeux verts maquillés.

    Un peu plus tard, un homme entre dans le grand salon. Sa présence et sa beauté lui vaut quelques regards, en particulier de la gente féminine, fascinées. Il s'assied sur une banquette et promène son regard bleu clair sur les dames présentes et sur quelques jeunes filles. Il est grand et mince, les cheveux longs et noirs comme le jais, la peau claire. Tout de noir vêtu, il porte une chemise en satin et un pantalon tout aussi élégant. 

    Soudain, son regard se porte sur une jeune femme vêtue d'une longue robe rouge corsetée. Il ne peut s'empêcher de l'observer. Ombelline est restée seule sur sa banquette car Stéphane danse avec son épouse. L'inconnu se dirige vers Ombelline et l'invite à danser une balade. Elle lève la tête pour observer son interlocuteur, surprise. Reconnaissant son compagnon, elle sent son coeur s'emballer dans sa poitrine, très émue. C'est Erwan, cela ne fait aucun doute ! Il porte les mêmes vêtements qu'il avait le jour de son décès...Comment cela se peut-il ? Il n'est plus de ce monde depuis un an, c'est impossible ! Elle se lève brusquement du divan et sort du château sous les regards étonnés de la voir cavaler. La jeune femme a besoin de prendre l'air ; il fait plutôt chaud dans ce salon et puis la présence de cet homme la perturbe.

    Ombelline se promène dans le grand parc bien éclairé par des réverbères. Elle s'appuie contre un arbre et respire calmement, puis elle lève la tête pour scruter la lune dans le ciel clair. Le vent secoue sa longue chevelure qui lui arrive au milieu du dos. Entendant des pas derrière elle, elle se retourne : c'est Erwan. Il est si charmant et étrange aussi. Un fantôme ? Non, un ange revenu sur Terre pour elle. Ombelline se met à pleurer, à nouveau émue.

    Erwan vient vers elle, lui prend la main et embrasse la paume, puis il lui sourit et lui tend une rose rouge qu'il a cueilli dans le parc. Elle ne rêve pas, c'est bien Erwan ! Comment peut-il venir de l'Au-delà, l'Autre Monde ? Ces choses-là ne peuvent pas se produire...Pourtant il est bien réel. Ombelline se serre contre lui, heureuse de retrouver son grand amour. Il dépose un tendre baiser sur son front, . appréciant la chaleur de son être. Elle lui a tant manqué ! Elle laisse échapper quelques larmes lorsque Erwan lui récite le poème qu'il avait écrit la veille de sa disparition, un poème beau et romantique. Puis, le couple se promène dans le parc, croisant peu de monde. Presque tous sont dans le salon et le bal bat son plein, l'ambiance est festive. Dehors, des grillons font entendre leur chant nocturne, ainsi que des chouettes. Le vent fait s'envoler des feuilles rouges et or, prémice de l'automne à venir. Tout en marchant, Ombelline ne lâche pas la main d'Erwan. Elle ne veut plus qu'il lui échappe, le perdre à nouveau pour qu'il reparte dans l'Autre Monde. Son amour pour lui est intense et immense, comme ce que ressent Erwan à son égard.

    Ils s'asseyent sur un banc et contemplent le parc et le château, écoutent la musique. Erwan se tourne vers Ombelline, lui dit qu'il la trouve belle et qu'il l'aime comme au premier jour de leur rencontre. Devenu un ange, il lui explique qu'il ne souffre plus, apaisé, libéré. Elle l'écoute sans dire un mot, l'observe derrière ses larmes. Malgré tout, leur amour est fort et indestructible. Bercée par la voix d'Erwan, fatiguée, Ombelline finit par s'endormir contre lui. Elle ne s'aperçoit pas de son départ, aussi soudain que son apparition dans le château...

    Plus tard, le bal terminé, Stéphane et Annaëlle la retrouvent endormie sur le banc, allongée, la rose posée contre son coeur. Ils l'éveillent car il est tard, le fiacre les attend. Sur la route du retour, la jeune femme leur raconte ce qui c'est passé, le regard perdu dans des pensées profondes. Le couple ne la croît pas, bien sûr ; pour eux, elle a fait un rêve dans lequel se trouvait Erwan. Mais elle sait ce qu'elle a vu...Ils la raccompagnent à son appartement parisien. Ombelline passe une nuit un peu agitée, revoyant Erwan dans le parc.

     

    Le lendemain matin, elle se rend dans le studio de répétitions où l'attendent les autres musiciens. Demain, ils joueront pour une grande soirée en ville. Tandis qu'elle joue du violon, elle a l'impression de sentir la présence d'Erwan. 

    Après la répétition, tous bavardent devant un café, tenant des propos joyeux et chantant des airs celtes. Ombelline remarque alors une feuille de papier posée sur une table, près de son violon. Elle reconnait l'écriture d'Erwan : c'est son dernier poème, celui qu'il lui a lu hier dans le parc. Ses mains tremblent et ses yeux s'emplissent de larmes. La jeune femme sort et se rend jusqu'au cimetière puis elle va se recueillir sur la tombe d'Erwan, très émue et bouleversée. Elle a emporté son violon avec elle. Assise sur une tombe, pas loin de celle de son aimé, elle joue du violon. Lorsqu'il entend sa douce compagne jouer pour lui, Erwan apparait pour se reposer sur la gracieuse épaule de sa promise et écoute la musique.

    Surprise, Ombelline s'arrête de jouer et se lève. Elle reconnait Erwan, l'ange aux ailes noires, tout illuminé de lumière, ressortant dans le cimetière sombre et le ciel grisâtre. Elle pose son violon sur une tombe et se précipite dans ses bras. Elle veut qu'il l'emmène avec lui, ne peut plus vivre sans lui car tout lui parait futile et sans intérêt.

     

    Le baiser de l'ange sombre l'emporte alors, tandis que le vent parsème les pétales des roses posées sur sa tombe, dans le cimetière. Eternel baiser.

    Elle se retrouve avec lui au paradis, dans un monde lumineux. D'autres anges vivent ici pour toujours.

     


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